Magie et médecine dans la vie quotidienne des Egyptiens dans l'antiquité


Frédéric Rouffet

Etudiant à l'université de Toulouse-le-Mirail (ToulouseII) il a obtenu un DEUG en Histoire de l'Art et Archéologie de 2003 à 2005 et à l' Université Paul Valéry (Montpellier III)où il passé sa licence, puis son Master 2 et dernièrement son Doctorat en égyptologie en septembre 2012, sous la direction de Bernard Mathieu.

Je commencerai là aussi en citant notre auditeur qui campe bien le sujet:"Son exposé nous montre comment, confrontés à toutes les sortes possibles de danger dans les conditions de vie de l'époque, ils faisaient en sorte de s'en prémunir.
On définira d'abord la différence entre magie et médecine, et c'est dès le départ une difficulté :
dans les textes, l'un et l'autre sont intimement liés, et alors qu'existe un terme pour la magie, il n'en n'existe aucun pour la médecine ni pour la religion...
On distingue deux termes différents pour désigner la "magie" en Egypte ancienne:
hekaou : la magie qui permet de repousser , de tuer.
akhou, celle qui permet de d'annihiler l'adversaire.
Les textes magiques ont pratiquement toujours la même forme générale :
Une introduction, avec une expression  liminaire et/ou un énoncé titre,
Un corps du texte comprenant la dénomination de ce que l'on cherche à combattre,
une injonction comminatoire et une historiola,
Vient ensuite la prescription du magicien à proprement parler avec la formule:Dd-mdw (djed-medou)="paroles à dire",
Dd=tw r(A) pn (djed tou ra pèn)= "on dira cette formule sur..."
puis viennent les ingrédients et la posologie...
Les historiolae peuvent être:
- narratives (un récit mythologique),
- discursives,
- comparatives (comme tel dieu),
- de rappel (d'une histoire mythologique) ou
- implicites (concernant un seul nom). L"’historiola" est perçue comme un procédé littéraire permettant au magicien de renforcer l’efficacité de la formule qu’il doit prononcer en vue de protéger ou de guérir un patient.
Il nous parlera aussi des cippes évoquant une stèle de grande taille probablement utilisée pour les voyageurs.
Les ritualistes, leurs conditions et lieux d' "exercice" seront enfin évoqués.
Une faconde toute méditerranéenne, et bien que la tâche de faire un exposé sous le regard de son maître ne soit certainement pas aisée, Frédéric a su captiver son auditoire, ponctuant agréablement de traits d'humour une conférence pourtant très savante, le disputant à Amandine avec des recettes bien ragoutantes à base d'yeux, de crachats et d'excréments..."


Passons maintenant au développement: Les premiers textes médico-magiques ont été trouvés au Ramesseum et datent du Moyen Empire pour les plus anciens retrouvés. Il faut différencier magie et médecine. La structure diffère à un point près, le but étant de guérir pour les deux.
La magie Hekaou, est définie dans "l'enseignement à Merikarê: " C'est pour eux (les hommes) qu'il (le dieu) a crée la magie Hékaou afin qu'elle devienne une arme destinée à repousser le coup du sort. Elle est accessible aux Dieux et aux hommes. .
La magie Akhou modifiera la nature même d'une chose; elle n'est accessible qu'aux netcherou, c'est à dire les dieux, aux défunts et au roi. Elle se trouve dans les textes funéraires. On en a un exemple dans le texte de l'ostracon Armytage: "j'entrerai (dans) ton ventre sous la forme d'une mouche et j'observerai ton ventre de l'intérieur. Je pourrai faire que ce qui est devant toi devienne ce qui est derrière toi et que l'avant de ton pied devienne ton talon!" Il n'existe pas de mot définissant la médecine ni la religion. Dans la prescription proprement médicale, il n'y a donc pas de formule magique.
La formule comprend :
- un groupe introductif sous forme d'énoncé-titre ou d'une expression telle que; "autre formule",
- le corps du texte contenant la dénomination, l'injonction ou menace et une historiola faisant référence à un mythe. (Explications ci-dessus),
 - la prescription précédée de: "paroles à dire" ou "on dira cette formule sur...", ensuite viennent les ingrédients et la posologie. Exemples de prescription tiré du papyrus de Turin: «On dira cette formule sur des excréments de crocodiles, des excréments de lion, des excréments de chien, des excréments humains, des excréments de porc, des excréments de bélier, des excréments d’âne, des excréments de serpent, de la graisse de sout, du crin de la queue d’un âne noir. Broyer finement et confectionner en une masse homogène (puis) fumiger l’homme avec cela 4 fois ».
Les ingrédients sont classés en différentes catégories: les minéraux, les végétaux, des parties d'animaux et des produits anthropiques pour les principaux. Leur posologie se faisait en applications cutanées, en décoctions, en cataplasme, fumigations...
 Les maux à combattre étaient divisés en 2 catégories:
- d'origine terrestre: piqûres, morsures d'animaux; maladies bénignes;...
- d'origine divine: cauchemars, maladies incurables, défunts.
On se pose la question de savoir s'il y avait des lieux où se rendre pour être soigner. Le titre du magicien était "prêtre ritualiste en chef" donc, il agissait dans un temple; d'autre part si l'on se réfère au papyrus de Turin où il est dit:"celui qui est venu en étant porté" il semble évident qu'il existait des "lieux de consultation".

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Sur cette stèle on voit Horus enfant, protégé par le dieu Bès et tenant dans ses mains les animaux séthiens pour s'en prévenir, debout sur un crocodile. L' oryx est considéré comme
séthien parce qu'animal du désert, région sous la protection de Seth.

Les ritualistes


Le début du Papyrus Ebers parle des « médecins » swnw (sounou) et de « ceux qui savent des choses » rḫw.w-ḫ.wt (rékhouou-khout)
Le terme désignant le magicien est plus difficile à déterminer. Les textes magiques font état d’un vocable ḥkȝy
(hékaÿ)  tandis que les contes égyptiens parlent d’un « prêtre ritualiste en chef »  ẖry-ḥb.t ḥry-tp (khéry-hébet héry-tep)

D'après les documents trouvés, certains symptômes étaient décrits comme: "un mal qu'on ne peut pas traiter"
Papyrus Edwin Smith [Descriptif no 5] (2, 11-17) : Descriptif médical concernant une plaie béante à la tête alors que le crâne est éclaté : Si tu procèdes à l’examen d’un homme ayant une plaie béante à la tête qui monte jusqu’à l’os, alors que le crâne est éclaté, tu devras sonder la plaie et constater que cet éclatement qui est dans le crâne est profond, s’enfonçant sous tes doigts, que le gonflement qui est sur lui est proéminent, alors que l’homme perd du sang par les narines et les oreilles, alors qu’il est atteint de raideurs à la nuque et qu’il n’est plus capable de regarder ses épaules ou sa poitrine : Tu diras : « un homme atteint d’ une plaie béante à la tête qui monte jusqu’à l’os, alors que le crâne est éclaté, alors qu’il est atteint de raideurs à la nuque, un mal qu’on ne peut pas traiter ! ».
Autre exemple: P. DeM I [2] (vo 1, 3 – 3, 2) : « Quant à un homme qui se trouve sous la mort de Ptah, qui [… tandis que l’haleine] de sa bouche est comme (celle d’)un bœuf après qu’il a mangé de l’herbe (…).
Quant à un homme qui se trouve sous la mort de Thot, qui [grince?] des dents, qui mâche sa langue, redresse sa nuque à chaque instant, fait […] les parties de son corps, tandis que l’haleine de sa bouche est comme la puanteur du venin de serpent, la sueur étant sur chacune des parties de son corps, (…).
Quant à un homme qui se trouve sous la mort d’Osiris, qui se trouve dans une grande inconscience tel un homme mort, tandis que tremblent ses jambes et ses bras, sa tête étant immobile, son visage noir, sa bouche tordue, son haleine sentant comme la myrrhe, ses yeux étant fermés et après s’être rétabli, il tombe en grand sommeil pendant un long moment ». Etre sous la mort d'un Dieu semble de mauvaise augure!

Stèle magique représentant  le dieu Horus enfant, pouvant servir d'offrande votive pour soigner des fidèles, victimes de morsures ou d'attaques d'animaux.


Conclusion

Magie et médecine sont intimement liées tant par la structure des textes que par la volonté de guérir. Le ritualiste use non seulement d'un remède mais aussi de formules magiques. Les supports étaient les ostraca, les papyri et les stèles.On a retrouvé de nombreuses statues et stèles"magiques" qui protégeaient des animaux et de leur venin en faisant couler de l'eau sur les inscriptions, que l'on buvait ensuite, chargée de cette magie. Elles étaient de différentes tailles selon leur utilisation: dans les maisons, les "portables" que l'on avait sur soi, et celles déposées dans les temples d'une taille plus imposante. Ici l'exemple d'une statue d'Isis datant de la XXVIe dynastie portant des formules magiques sur toutes ses faces. Et l'on termine cet exposé par le "chant d'Amour" où la belle demande à son amoureux de traverser le Nil à la nage pour venir la rejoindre, mais en faisant attention aux crocodiles. Et lui, tout transi, de répondre que son amour lui servira de protection magique!



Isis


La Scribette